"Insérez un concept ici" (TLC - 3/3 : Abraham Kennedy & Johnny Puke)

Le soleil est levé et les trois membres de No Future sont assis, parterre, à une halte routière. Ils mangent des sandwichs et boivent de la bière, au grand dam des autres visiteurs qui semblent dégouter par l’odeur que les trois hommes dégagent. Sabu prend une grande gorgée, jette la canette derrière lui et en prend une autre dans la caisse.

Sabu : Se cacher derrière des métaphores, histoire que notre vision tordue du monde soit validée par la plèbe. N’avez-vous pas honte ? Bien sûr, je ne peux le cacher : c’est… mignon. On emprunte des lieux communs, des choses que les gens connaissent. On prend ce que l’on a besoin des ses histoires, mais, on décide volontairement d’omettre certains détails afin que notre trame narrative ait du sens, afin qu’au final, les gens croient que nous avons raison. Ainsi va la vie, le cycle éternel. Ce proto-intellectualisme de bas étage nous mène lentement mais surement à notre perte, mais il est Ô combien satisfaisant : cette sensation qui nous habite de dire que nous avons des réponses à des questions existentielles est exaltante, n’est-ce pas ? La vérité, la VRAIE vérité, c’est que ce que nous faisons peut-être facilement comparé à de la masturbation. Ce gonfler l’égo, si je peux me permettre la métaphore.

Sabu semble être traversé d’un éclair de génie, sous les regards confus de Jun Kasai et Jimmy Havoc. Il fouille dans la poche de Jimmy Havoc et s’empare de son cellulaire rapidement et semble chercher quelque chose qu’il trouve avec facilité. Il se lève et se promène autour des deux hommes et récite les phrases suivantes, d’un air solennel.



Jimmy et Kasai s’esclaffent de rire pendant que Sabu fait un salut, comme au théâtre.

Sabu : Ce voyageur, Johnny Puke, se raconte. Il a voyagé et cet évènement qui est, à première vue, sans intérêt, est important pour lui puisqu’il semble avoir le désir de nous le raconter, non ? Comment va ton histoire, Johnny ? Cette quête que tu as décidé d’accomplir, ce désire narcissique qui te mène du bout du nez afin d’être reconnu ?  Ton errance dans le désert, à la rechercher de ta propre délivrance ta faussement conduit vers les restes d’un passé révolu. C’est un modèle que je vois beaucoup, depuis quelques mois, ici. Une façon de voir les choses qui me surprend. Cette quête ridicule de retrouver la gloire d’antan, j’en parle souvent ! Je sais que je me répète, j’en suis parfaitement conscient et c’est ce qui me donne le plus le goût de me taire à jamais et d’encaisser puisque votre niveau de compréhension est, ma foi, ridicule.

Sabu se rassoit, cellulaire en main.

Sabu : J’aimerais être dans ta tête Johnny et comprendre ta pensée. Comprendre tout ce qui a mené à ça, cette décision. « Les trois petits cochons »… vraiment ? Le tout te semblait l’analogie idéale afin d’exprimer ta pensée ? Mais bon, je crois qu’elle te sied bien, cette histoire : te baser sur le matériel est un peu ta marque de commerce. Tu l’as prouvé mainte et mainte fois. Tu brandis tes faits d’armes, tu les racontes et tu  te satisfais d’être reconnue dans un endroit physiquement inexistant. Pathétique ? Non. Triste… oui. Bienvenue dans le monde des figurants, Johnny : tu ne seras que celui qui racontera des histoires et qui n’en vivra jamais.

Sabu regarde une fois de plus le cellulaire.


Sabu prend une gorgée et remet le cellulaire à Havoc.

Sabu : Comment se porte ton royaume, Abraham Kennedy ? Cette "télé-réalité" qu’est ton existence, que tu nous forces a contemplé se porte bien ? Tes altercations avec Steve Buscemi ? Tes relations sexuelles avec Margot Robbie ? Tes fréquentations ? Tout va bien dans le meilleur des mondes ? Une question : t’es-tu déjà fondamentalement demander si le tout nous intéressait ? Tu nous forces à être des sujets de ton royaume illusoire et c’est ce qui me titille, Abraham. Et ne t«,en fait pas, j’ai remarqué : j’ai remarqué tu m’as rejeté du revers de la main, sachant que tu n’avais pas le contrôle sur nous. Peut-être sommes-nous trop des sujets rebelles du royaume de Kennedy ? Ce que tu sembles oublier c’est que plus rien n’existe, tout n’est que cendres ou sable. L’empire Kennedy n’est que fausseté et matérialisme. Une parade de nom populaire, de coquille vide qui sont sensés de rendre crédible aux yeux de tous et toutes.  Tout ça ne fait que nourrir ton égo démesuré. Ça te rassure, ça te console. Tu as « réussis », selon ta définition de réussite. Et pourtant, tu t’obstines à recoller les morceaux. Rien ne t’entoure, plus rien. Le monde a changé et tu sembles le refuser.

Sabu se lève et prend une autre bière, suivis de près par Havoc et Kasai.

Sabu : Et de surcroit, te voilà soudainement obsédé par la hiérarchie ? Toi, qui croit que tout te doit quelque chose ? Balivernes, Abraham ! Vous m’avez affublé de se rôle, de se rôle de « leader ». Je ne suis pas autoproclamé : VOUS avez décidé que JE dirigeais No Future. Jun et Jimmy semble s’en foutre. Moi aussi. Si le tout peut vous faire plaisir : ainsi soit-il. L’ironie c’est que je ne dirige rien puisque diriger implique avoir une vision et je l’ai dit souvent : je n’ai aucune vision. Mais bon, je ne sais plus si j’ai du sens. Je l’ignore. Tout ce que je sais c’est que je suis responsable de mes actes. Le voyageur me raconte cette histoire, et moi je l’ai gobé. C’est le concept, m’enfin...Je crois…

Les trois hommes prennent une grosse gorgée. Kasai se fracasse la canette sur la tête et les deux autres les jettent par-dessus leurs épaules. Ils entrent dans le véhicule. Fade out.