Une question d'honneur (RR - Okada - Titre IC)

Johnny Puke est seul dans une salle qui semble être un musée. Il se promène lentement entre les différents artéfacts qui meublaient la pièce. N’étant pas le genre de personne qui fréquente généralement ce type d’endroit, Puke faisait tourner les têtes des visiteurs mais se sentait surtout épié par les gardes de sécurité.

Il faut dire aussi qu’il prenait un malin plaisir à défier les écriteaux demandant de ne pas toucher les objets.

Guide du musée: On ne TOUCHE PAS! Merci.

Puke déposa aussitôt l’objet qu’il tenait dans ses mains. Il s’agissait d’une réplique authentique d’un katana de l’ère Edo au Japon.

Johnny Puke: C’est un vrai?

Guide du musée: Non, ce n’est qu’une réplique. Il est plutôt rare que des objets provenant de l’ère Edo soient exposés dans des musées américains. Il faut dire que les japonais sont un peuple fier.

Johnny Puke: Ouais, j’ai cru comprendre ça cette semaine…

Puke continue son chemin tranquillement et s’arrête devant une toile.

Guide du musée: Ah! L’histoire des 47 ronin… Vous connaissez?

Puke fit le saut en constatant que la dame l’avait suivi jusque-là. Il ne connaissait pas la légende des 47 ronin.

Guide du musée: C’est une fable sur l’honneur et la loyauté. Au 18e siècle, un grand samouraï s’est fait accusé d’avoir blessé le maître de cérémonie d’un shogun après que celui-ci l’ait insulté. Il a été condamné à faire hara-kiri.

Johnny Puke: À faire quoi?

Guide du musée: Hara-kiri. C’est le nom du suicide rituel de la classe des samouraïs.

Johnny Puke: Donc, le gars blesse quelqu’un et on le condamne à se suicider? Ce peuple est aussi fou que moi…

Guide du musée: Il faut le voir autrement. Le code des samouraïs est régi par l’honneur.

Johnny Puke: Et c’est quoi le rapport avec les 47…

Guide du musée: Ronin. Et bien, figurez-vous donc que le samourai en question était chef d’une bande de 47 samourais qui ont voulu venger l’honneur de leur chef en tuant l’homme responsable de sa mort. Ils ont patienté et planifié leur coup pendant deux ans. Un soir d’hiver, l’assaut a été donné…

Johnny Puke: Est-ce qu’ils ont réussi?

Guide du musée: Oui. Ils ont réussi à tuer l’homme et venger leur chef mais en ont payé le prix.

Johnny Puke: Dans quel sens?

Guide du musée: Les 47 ont finalement été condamnés à se suicider à leur tour. Ils ont payé de leur propre vie pour venger la mémoire de leur maître.

Johnny Puke: Je ne comprends pas...  Pourquoi avoir tout orchestré la vengeance si c’est pour mourir.

Guide du musée: L’honneur, monsieur. C’est très simple. Ils ont honoré leur chef en commettant un geste entraînant de graves conséquences. Chez les samourais, la mort par seppuku, c’est-à-dire le suicide, est un grand honneur. Il y a quelque chose d’honorable et de poétique dans cette histoire, ne trouvez-vous pas?

Johnny Puke: Si vous le dites.

Guide du musée: Cette histoire est à la base même de la culture japonaise et encore aujourd’hui, elle est une inspiration pour le peuple japonais en ce qui concerne la loyauté, l’honneur et le dévouement.

Puke remercia la femme et celle-ci se dirigea vers d’autres visiteurs dans le coin nord-est de la pièce.

Johnny Puke: L’honneur… J’imagine que tout ceci m’aide à comprendre ta réaction, Okada. Moi qui croyais te faire une faveur en réparant l’injustice dont tu avais été victime. Je ne m'attendais pas à une telle réaction de ta part. On ne t'a jamais appris à ne pas mordre la main qui te nourrit? Pour être franc, quand j’ai vu que tu me crachais au visage malgré ma bonne action, j’étais hors de moi. Depuis plusieurs semaines, je suis l’une des seules voix à s’élever contre les injustices de Vince Mcàlacon et de sa petite bande. Vince doit avoir les fesses bien propres à force de se faire lécher le cul par sa petite secte. Malgré mon caractère et mon historique, il n’y avait aucune mauvaise intention dans ma décision de mercredi dernier. Seulement de la bonne volonté. Qui sait, peut-être que Johnny Puke se dirige vers le droit chemin? Je comprends maintenant que ta réaction était basée sur l’honneur. Alors que moi le seul honneur que je connais, c’est le doigt d’honneur…

Puke leva ses deux bras et fit un double fuck you en direction de la toile japonaise racontant l’histoire de 47 ronin.

Johnny Puke: À quoi bon avoir un système d’honneur si c’est pour être aveuglé par celui-ci? Cet aveuglement te pousse à voir des biais systémiques, mon cher Okada. Comme si tout ce qui n’était pas japonais te voulait du mal ou était un obstacle à toi soi-disante dignité morale. Tu ne mérites finalement peut-être pas l’opportunité que je te donne ce mercredi. Peut-être qu’un Disco Inferno ou même le Brooklyn Brawler aurait dû recevoir ce title shot. De toute façon, si on se fie à l’histoire de tes 47 semblables, un triste sort t’attend mercredi soir. Ce sera le plus grand moment de ta vie, le moment rêvé pour faire taire tes nombreux détracteurs suite aux déboires que tu as connus dans les dernières semaines. Monter sur le ring contre moi c’est un peu comme se faire hara-kiri devant 20 000 personnes, tu ne trouves pas? Très peu de lutteurs ont réussi à percer le mystère Puke et ce n’est l’homme qui fait une piètre lecture de ma personnalité qui va réussir à y changer quelque chose. Ta fenêtre d’opportunité est petite, tu n’auras pas une troisième chance que ce soit au nom de l’injustice, de l’honneur ou même de la pitié. Laisse-moi mettre les points sur i et les barres sur les t et te dire comment ta légende se terminera mon ami: tu finiras dans l’oubli et les seules personnes qui se souviendront de toi se souviendront seulement de ton ignorance. On dit que nul n’est prophète en son pays, c’est peut-être pour ça que tu luttes en Amérique du Nord? Pourtant, à la fin de ta carrière, il n’y aura ni mémorial, ni musée en ton honneur, Okada. Tu ne seras qu’une statistique dans une fédération qui a connu son lot de bons parleurs.

Johnny Puke: Peut-être que finalement tu n’es pas l’homme que tu crois être. J’imagine qu’en se donnant autant d’honneur et de dignité comme tu le fais, cela vient avec son lot de vanité et de prétention. Au final, tu n’es pas différent des autres. Tu restes un imposteur, un charlatan qui fait honte à son propre pays. Une escroquerie qui se targue d’être capable d’accomplir des exploits qu’il ne serait capable de réaliser même dans ses plus grandes rêveries. Tu n’es qu’une pâle copie de l’archétype du héros japonais qui fait bander ton petit peuple à genou. Une simple imitation comme ce katana de mes deux.

Puke prit le katana dans ses mains devant le regard ahuri de la petite famille de touristes qui se tenait tout près. Il prit son élan et frappa de toutes ses forces dans la représentation des 47 ronin accrochée au mur. La toile est fendue d’un long trait horizontale qui donne l’impression que les corps des samouraïs est coupé en deux.

Johnny Puke: Tiens, ils sont rendus 94 maintenant.

Puke laisse tomber l’arme et quitte en douce par la sortie de secours.